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Etran de l’Aïr, les guitar-heroes du label Sahel Sounds

C’est l’histoire d’une maison de disques indépendante qui, depuis 2010, place le Sahel sur la carte des musiques du monde. D’Agadez, Niamey ou Illighadad, au Niger, à Podor, au Sénégal, de Nouakchott, en Mauritanie, à Bamako, au Mali, avec des incursions dans le nord du Ghana et dans le septentrion du Nigeria, Sahel Sounds défriche les musiques de cette aire géographique au fil d’enregistrements parfois rudimentaires, mais avec une passion toujours renouvelée.

En témoigne la sortie, en septembre dernier, du nouvel album d’Etran de l’Aïr – le premier que ce groupe de rock touareg d’Agadez a enregistré en studio, sur la côte ouest des États-Unis –, couronnée d’une tournée américaine d’un mois et de vingt-cinq concerts donnés d’est en ouest, jusqu’à la mi-octobre.

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Sons du Sahel

Cette passion est celle d’un Américain, Christopher Kirkley, qui, à la fin des années 2000, au retour d’un road trip de deux ans en Mauritanie, au Sénégal, au Mali et au Niger, décida de se lancer dans cette aventure, avec le soutien de Mississippi Records, un label de blues de sa ville de Portland (Oregon).

Le premier album de Sahel Sounds, Ishilan n-Tenere, qui rassemblait des enregistrements réalisés au cours de ce voyage dans les régions de Fouta-Toro, de Tombouctou et de l’Adrar des Ifoghas, parut en décembre 2010, suivi de deux titres de l’Orchestre national de Mauritanie. L’histoire pouvait commencer.

Elle a donné naissance à quelque 70 références, en partie épuisées. Distribué dans le monde entier (Amérique du Nord, Europe, Japon, Océanie), le catalogue de Sahel Sounds, micro-entreprise qui se concentre désormais sur des parutions en vinyle et digital ainsi que sur le management de groupes, bénéficie d’une audience croissante autour d’artistes confidentiels et compte plus de 100 000 abonnés sur YouTube. Trois albums, un EP et deux singles ont été publiés en 2023, selon un modèle de commerce équitable grâce auquel les artistes perçoivent la moitié des gains.

Etran de l’Aïr, « un appel à la fête »

« On a commencé avec une guitare acoustique et une calebasse, que nous frappions avec une sandale, se souvient Moussa Ibra « Abindi », le leader d’Etran de l’Aïr, qui, en ces années 1990, était encore un enfant. « C’était difficile, il nous arrivait de parcourir 25 kilomètres à pied dans le bush avec guitares et amplis sur le dos pour nous produire gratuitement. Il n’y a aucun endroit autour d’Agadez où nous n’ayons joué. » Depuis, la bande de frères et de cousins du quartier Abalane, situé à l’ombre de la grande mosquée d’Agadez, âgés de 25 à 40 ans aujourd’hui, écume baptêmes, mariages et meetings politiques.

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Le groupe (dont le nom signifie « les étoiles de l’Aïr », du nom du massif montagneux dont Agadez est le chef-lieu) est aujourd’hui le plus populaire de cette ville du centre du Niger, par ailleurs point de passage des migrants africains vers l’Europe – migrants à qui un morceau de ce nouvel album est dédié.

« Nous espérons emmener l’an prochain ces musiciens [d’Etran de l’Aïr] au Japon, en Asie, en Europe et de nouveau aux États-Unis, précise Christopher Kirkley, qui avait enregistré leur premier opus il y a dix ans, chez eux. Leur musique est bien accueillie car quelque chose, dans ce groupe, résonne chez les gens. C’est comme un appel à la danse et à la fête, même s’ils évoquent des sujets assez lourds : la situation politique, la souffrance de ceux qui tentent de traverser le désert pour émigrer, ou encore des histoires d’amour nostalgiques et douloureuses. »

Un mois après sa sortie, le premier single de l’album 100% Sahara guitare, intitulé Imouha « en hommage au peuple touareg », comptait déjà plus de 500 000 vues sur YouTube. Le vinyle qui l’accompagne, pressé à 2 000 exemplaires, est, lui, déjà quasi épuisé.

Sahel Sounds permet en outre à l’auditeur curieux de découvrir en streaming libre (ou de se procurer) les disques d’une kyrielle d’artistes de la sous-région, sur la plateforme Bandcamp. « Nous voulions aussi mettre en avant l’histoire de ceux qui font ces musiques, la diversité des styles, des techniques et des cultures », poursuit l’Américain. Le label fait ainsi la part belle aux guitaristes emblématiques de cette région, dans le sillage d’Ali Farka Touré ou de Tinariwen.

Parmi eux, le Nigérien Mdou Moctar, originaire d’Abalak, que Sahel Sounds a propulsé jusqu’au label new-yorkais Matador Records. Son dernier album, Funeral for Justice, tout en explosivité électrique, est sorti en mai 2024. Comme, dans un style très différent, Africa Yontii, un disque instrumental du meilleur effet et tout en délicatesse de Tidiane Thiam. Le musicien a enregistré chez lui, dans le village de pêcheurs de Podor (dans le nord du Sénégal, à la frontière mauritanienne), dans le studio de Mokhtar N’Diaye, son troisième album sous ce label avec lequel il travaille depuis 2010.

Détour par l’Afrique anglophone

Sahel Sounds met également les femmes à l’honneur, avec Les filles de Illighadad, autour de la chanteuse Alamnou Akrouni et de la guitariste Fatou Seidi Ghali, et leurs trois disques de folk touareg chantés en tamashek, dans la tradition tendé, typique du Niger rural. Le premier a été enregistré chez elles, en plein air, dans le désert ; le prochain est attendu pour 2025. Le groupe, qui s’est notamment produit en Europe, compte plus de 50 000 auditeurs mensuels sur Spotify. Plus récemment, la vocaliste malienne Namian Sidibé a repris les chants de louanges chers aux griottes.

Au fil des ans, le label s’est autorisé deux détours remarqués en Afrique anglophone, pour les compilations This is Kologo Power ! (2016), autour d’un style populaire dans le nord du Ghana, et Harafin So (2013), réédition de musiques de films de la région haoussa, inspirées de Bollywood.

Quant au doyen de la maison, Mamman Sani, vétéran de la radio nigérienne et habitué aux apparitions officielles, il a été un pionnier du synthétiseur et des musiques électroniques. Sahel Sounds lui a consacré trois albums de rééditions de compositions qui datent de la fin des années 1970 et 1980…

À surveiller, les futurs enregistrements d’Aly Bounaly Traoré, « l’un des plus guitaristes contemporains les plus incroyables du Mali, membre de cette diaspora de déplacés du nord du pays à Bamako », ou le Wau Wau Collectif, collaboration entre musiciens et rappeurs sénégalais et le producteur suédois Karl-Jonas Winqvist, qui doit sortir un troisième opus l’an prochain. Malgré l’instabilité qui règne dans la sous-région, Sahel Sounds n’a pas fini de nous surprendre.

Sahel Sounds, à découvrir ici.

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Article écrit publié en premier sur JeuneAfrique.Com

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